L’événement planétaire le plus attendu de ce début du XXIème siècle vient de débuter en Inde : la finale de Championnat du Monde d’échecs oppose le tenant du titre l’Indien Vishy Anand au Norvégien Magnus Carlsen, 22 ans. Après les deux premières parties, toutes les deux nulles, la pression monte lentement sur les protagonistes et le match semble prendre du corps et s'animer.
Après Bobby Fischer et Garry Kasparov, la planète échecs a bel et bien trouvé sa nouvelle star en la personne de Magnus Carlsen. Mais Vishy Anand, le champion du monde en titre ne manifeste pas un enthousiasme débordant à l'idée de l'adouber si vite et de prendre une retraite sportive pourtant bien méritée ...
Depuis le fameux match du siècle et la fameuse finale de Championnat du monde d'échecs de 1972 entre le jeune challenger américain Bobby Fischer et le tenant du titre, le Russe Boris Spassky à Reykjavik, en Islande remporté par Fischer 12½ - 8½ et malgré les duels d’égos épiques qui suivirent, entre les différents K : Karpov vs Korchnoï, Karpov vs Kasparov et enfin Kasparov vs Kramnik aucune finale de Championnat du monde d’échecs n’aura suscité un tel engouement et une telle passion.
Spassky Fischer, le 1er match du siècle
Le nombre d'internautes qui s'intéresse à l'événement que représente cette finale suffirait déjà à l'attester. Cette finale de championnat du monde d'échecs affole et explose les compteurs !
Il faut dire que la perspective de voir Magnus Carlsen s'emparer du sceptre suprême attire les foules. Chouchou indiscutable du public spécialisé des échecs, des jeunes et même de la gente féminine en général, icône médiatique reconnue et starisée, numéro 1 mondial au classement, le jeune Norvégien domine de la tête et des épaules sa discipline depuis maintenant trois ans.
Rencontrer le Champion du Monde Indien Vishy Anand était donc un événement très prévisible et logique à court terme. Mais battre Anand sur ses terres, le déposséder de son titre, sous la haute protection de plus d'un milliard d'Indiens, serait un véritable séisme dans le monde des 64 cases. La logique des résultats et des trajectoires voudrait, sans aucun doute, qu’Anand, âgé de 43 ans et en recul dans le classement mondial (il est désormais n°8 mondial avec 2775 elo) cède son titre face à son jeune rival. Sans doute, les bookmakers londoniens n’imaginent-ils pas autre chose que cette passation de pouvoir et se réjouissent de voir les parieurs rêver d'un autre scénario et faire monter les enchères !
Car justement rien n’est si simple. Le contexte psychologique de cette finale, jouée à domicile, peut aussi clairement favoriser Anand et la pression, qui est considérable, peser trop lourd sur les épaules du challenger. Qui pourrait garantir que le meilleur joueur d'échecs du monde gagnera le combat mental face à Anand, lequel n'est pas non plus maladroit à ce jeu des Rois ? Magnus Carlsen sait qu’il est en passe de réussir à devenir sans conteste le plus grand champion d’échecs de tous les temps, ce qui n’est pas rien et peut tout à fait le perturber … N’a-t-il pas failli laisser passer sa chance aux Candidats, il y a quelques mois à Londres, au profit d’un Vladimir Kramnik dominateur et ressuscité ? N'a t-il pas ainsi surtout laissé apparaître une surprenante mais certaine fragilité au moment d'accomplir ce que tous les observateurs considérent comme son destin : devenir le plus grand joueur d'échecs de tous les temps ?
Vishy Anand, de son côté, a certainement conscience aussi d’affronter le "probable"plus grand joueur de tous les temps à un stade où son jeune âge et son inexpérience de la finale du Championnat du monde constituent encore ces deux derniers réels handicaps. Pour enrayer la belle mécanique et retarder la suprématie probablement à court terme inéluctable du jeune Norvégien sur les échecs mondiaux, Anand devra simplement le faire douter. Or, à ce petit jeu de la déstabilisation, il n’est pas du tout certain que Magnus soit le mieux armé des deux.
Après s’être emparé du titre au cours du Tournoi de mexico de 2007 qui réunissait les huit meilleurs mondiaux l’Indien a en effet déjà défendu son titre avec succès à trois reprises, face à Kramnik, à Topalov et enfin à Gelfand, ce qui est la preuve de son extraordinaire capacité d’adaptation à l’adversité. En outre, s’il réussissait la passe de 4 en neutralisant Carlsen, le Champion indien, de héros national de tout un peuple, passerait au statut de Dieu vivant et quasi universel, car il réaliserait un exploit absolument unique dans les anales du Championnat du monde d'échecs : consrver son titre face à quatre challengers différents. Autrement dit, on comprendra qu’Anand, qui est un combattant et un joueur exceptionnel, arrivé tard à maturité, se soit préparé dans ces conditions comme jamais pour demeurer maître sur ses terres et accomplir l'exploit de sa vie.